L’autre dans le miroir : Littérature jeunesse et numérique, les nouveaux outils de la rencontre ?

Après une première rencontre sur le thème de l’interculturalité, et une deuxième centrée sur le discours de la littérature jeunesse sur les migrations, nous organisons les 4 et 5 mars 2026 un colloque international et pluridisciplinaire intitulé « L’autre dans le miroir : Littérature jeunesse et numérique, les nouveaux outils de la rencontre ?». Ce colloque, qui veut ouvrir à de nouveaux espaces de rencontres et de pensées, s’organisera en deux journées et deux lieux distincts. 

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Chapitre I. Rencontrer l’autre à l’ère du numérique 

Le 5 mars 2026, la première journée, qui se tiendra à Bordeaux, interrogera la rencontre au prisme de la numérisation du monde, qui, accentuée par la crise sanitaire, a rendu familiers les outils de communication à distance, et notamment les réseaux sociaux. 

Nous souhaitons donc interroger les mutations interculturelles en lien avec cette évolution de la technologie et du rapport à la distance. Dans un monde où la distance géographique peut sembler abolie par le développement de l’accessibilité à internet, peut-on en dire autant de la distance culturelle ? 

Cette journée se veut à la fois un moment d’échanges réflexifs, conceptuels et scientifiques et une entrée pragmatique sur la question des outils. Elle proposera donc des interventions de chercheur-e-s, mais aussi de praticien-ne-s, de professionnel-le-s du champ, et pourra s’organiser autour de conférences et communications scientifiques, mais aussi d’ateliers et de tables rondes. La proposition de partage est donc ouverte à des chercheur-e-s débutant-e-s comme confirmé-e-s, mais aussi à des praticien-ne-s, concepteur-e-s d’outils, éditeurs et éditrices intéressé-e-s par ces thématiques, au milieu associatif et militant. Les propositions pourront s’intégrer dans un des deux axes suivants, mais aussi proposer des pistes de travail alternatives en lien avec la thématique générale de la journée. 

 Axe 1 : Rencontre et réseaux sociaux en littérature  

La multiplication des supports numériques – des sites aux blogs, puis aux réseaux sociaux numériques – a redéfini la relation entre auteur et lecteur. L’écriture, moins centrée sur une posture auctoriale verticale, tend à s’inscrire dans une dynamique horizontale et participative (Jenkins, 2006), favorisant l’émergence de communautés littéraires en ligne où la parole des lecteurs acquiert une visibilité et une légitimité nouvelles(Paveau, 2017). Les plateformes sociales jouent dans ce cadre un rôle déterminant : les hashtags tels que #Bookstagram ou #BookTok par exemple, contribuent-ils à la mise en visibilité massive des œuvres ? La recommandation, la médiation et la viralité inhérentes aux réseaux sociaux permettent-elles de mieux appréhender l’altérité, en donnant accès à des récits issus de cultures éloignées, tant dans le temps que dans l’espace ? La circulation élargie des textes constitue-t-elle un levier pour favoriser une meilleure compréhension et acceptation de l’autre, ou bien reproduit-elle de nouvelles formes de normativité et d’homogénéisation culturelle ? Dans ce contexte, la littérature jeunesse constitue un terrain d’étude particulièrement fécond. La manière dont elle investit ces nouveaux espaces numériques interroge la représentation et la transmission de l’altérité auprès des jeunes lecteurs (Serafini & Gee, 2017). De nombreux albums et romans abordent les thèmes de l’exil, de la frontière et de l’hospitalité, et leur circulation numérique (via blogs, chaînes YouTube pédagogiques, ou hashtags dédiés) amplifie leur rôle de médiation interculturelle (Colomer, 2002). Il peut s’agir de romans figurant ou ayant figuré dans les programmes scolaires et/ou ayant concouru pour des prix littéraires destinés aux jeunes, comme le prix Goncourt des lycéens et le roman de Gael Faye, Petit Pays (2016). Nous pensons aussi à la littérature pour les jeunes adultes, avec des œuvres telles A(ni)mal de Cécile Alix (2022), le roman graphique Illegal de EoinColfer, Andrew Donkin et Giovanni Rigano (2017), ou la collection de poèmes de Michael RosenOn The Move (2020), ainsi qu’aux albums jeunesse, à l’instar de Comme un million de papillons noirs de Laura Nsafou (2018). 

 Axe 2 : Pédagogie et pratiques numériques interculturelles 

Springer (2008) pose, à la suite de Pretceille (1999) que les jeunes et les adultes forment aujourd'hui de multiples communautés de pratiques et d'apprentissage sur la toile à travers lesquelles les identités sociales plurilingues se (co)construisent, et qui permettent de développer de nouvelles pratiques interculturelles. Sur le plan pédagogique, Porcher met en exergue dès 2003 la nécessité de parler des interculturels, dans le sens d'un monde construit par l'enrichissement mutuel et l'interpénétration des cultures. Depuis l'avènement d'internet, de nouvelles formes de communication se sont développées, et les générations d'élèves actuels sont en continu en prise directe avec le monde. Dans un autre cadre, comptant que l'identité se construit dans un double mouvement d'identification/ différenciation, nous interrogeons l'effet produit par l'accès à une information mondialisée sur les processus de construction identitaire, et, par là même sur la construction de représentations de l'autre. 

 Pour ce chapitre, les communications et interventions pourront concerner les questions suivantes :  

Dans l’axe 1 :  

  • Les transformations des pratiques de lecture et d’écriture en ligne conduisent-elles vers de nouvelles modalités de rencontre avec les œuvres et les auteurs (Hayles, 2008), avec l’autre ? 

  • Quels rôles les communautés littéraires numériques (blogs, forums, réseaux sociaux) assurent-elles dans la redéfinition des médiations entre lecteurs et écrivains (Jenkins, 1992) ? 

  • Comment les enjeux de visibilité et de prescription littéraire sur les plateformes sociales (#BookTok, #Bookstagram, etc.) naviguent-ils entre démocratisation de la lecture et nouvelles formes de normativité ? 

  • La question de l’altérité et de sa représentation dans les espaces littéraires numériques : quelles figures de l’autre émergent et comment sont-elles médiatisées ? 

  • La littérature jeunesse face aux réseaux sociaux numériques (RSN) : comment les récits, les formats et les dispositifs de médiation construisent-ils de nouveaux espaces de rencontre et de découverte culturelle ? 

 Dans l’axe 2 :  

  • Les médias et plateformes numériques peuvent-ils être envisagés comme des médiateurs privilégiés dans la construction d’une rencontre avec l’autre ? Comment les formes narratives, visuelles ou hybrides qui circulent en ligne transforment-elles l’expérience de lecture des jeunes publics ? 

  • Le numérique peut-il permettre une meilleure rencontre dans le cadre de la classe ? En d'autres termes, l'accès à une information enrichie par la mondialisation d'internet, facilité par la généralisation de la traduction simultanée automatique assistée par IA, permet-elle de mieux connaître l'autre, et de dépasser les stéréotypes induits par l'ignorance ? 

  • Dans un contexte où le nombre d’enfants venus d’autres pays ou issus de familles migrantes augmente dans les classes, quels outils, quelles démarches, quels dispositifs permettent d’accompagner la communauté éducative vers une connaissance des processus migratoires qui soit en prise avec les réalités des personnes migrantes fréquentées au quotidien ? Les enseignants et les équipes de professionnels sont-ils outillés pour didactiser le discours médiatique ? 

  • Comment l'évolution vers la numérisation de la pédagogie incluant le développement de la diffusion de supports numériques influence-t-elle le rapport à la littérature jeunesse interculturelle ? La discussion est ici ouverte à la fois à des éléments concernant l'évolution de l'accès aux supports, mais aussi à leur transformation et aux possibilités ouvertes par l'interactivité des outils. 

 

 Chapitre II. De l’autre côté du miroir 

 Le 6 mars 2026, à Toulouse, la deuxième journée sera consacrée à la notion de l’autre comme miroir dans la littérature jeunesse. La construction identitaire est un processus social qui débute à la naissance et se construit tout au long de la vie. Marc postule que l'identité « a surtout un sens subjectif : elle renvoie au sentiment de son individualité (« je suis moi »), de sa singularité (« je suis différent des autres et j’ai telles ou telles caractéristiques ») et d’une continuité dans l’espace et dans le temps (« je suis toujours la même personne ») » (2016, p. 28). Henchoz-Reymond rappelle que « l’identité sociale s’articule autour de deux transactions : une transaction « interne » à l’individu et une transaction « externe » entre l’individu et les institutions avec lesquelles il entre en interaction » (2011, p. 38). En ce qui concerne les enfants dans le cadre scolaire, la littérature de jeunesse est un outil didactique ancien, dont les premières traces d'utilisation remontent au XVIIème siècle et dont les instructions officielles recommandent la fréquentation régulière (Devanne, 2006; Morin & Montésinos-Gelet, 2007). Les programmes scolaires ont ainsi conféré à la littérature jeunesse une place fondamentale dès le début de la scolarité, et ce dès 2002 en France. En 1999, Perrot avait souligné la nécessité de reconnaître la littérature comme un « fait culturel d'expression totale (…) instrument de lutte contre les handicaps culturels de l'enfant ». 

À l’instar d’Alice chez Lewis Carroll, qui use du miroir comme d’un “espace métacognitif qui nous aide à aller au-delà des représentations” (López-Varela Azcárate, 2019, p. 79), enseignants et éducateurs utilisent la littérature jeunesse comme miroir de l’autre, comme un lieu de passage, un pont menant à la découverte de l’altérité et donc de soi, via la relation à l’autre. La “fracture analogique” présente dans les aventures d’Alice au Pays des merveilles (López-Varela Azcárate, 2019) est-elle une caractéristique de la littérature jeunesse des migrations, ou au contraire cette littérature jeunesse permet-elle de renforcer les liens analogiques, voire symétriques ? Des albums tels que Mirror de Jeannie Baker (2010), ou les publications bilingues des éditions Le port a jauni, mettent en avant les parallèles entre soi et l’autre. C'est dans ce cadre que cette deuxième journée de colloque interrogera la place de la littérature jeunesse dans la construction identitaire interculturelle à partir notamment de deux entrées : 

 Axe 3 : Pédagogies de la rencontre 

Philippe Meirieu remarque, dans sa préface à l’ouvrage de Horemans et Schmidt (2013), que “L’enseignement est rencontre s’il permet un partage, si la transmission y est simultanément émancipation, si les protagonistes vivent une aventure dont le résultat, largement imprévisible, est créateur d’humanité.” Comment la littérature jeunesse peut-elle être vectrice d’un tel processus ? Mélanie Champoux (2024) propose une pédagogie de la rencontre au cœur de laquelle se trouve la notion de réciprocité, déjà mentionnée par Meirieu. La création culturelle et artistique est au centre de cette pédagogie qui s’articule en trois étapes : présentation, représentation et expression. Casey Ford, quant à lui, met en avant la notion d’intérité, lieu de rencontre liminal qui mène à la confrontation autant qu’à l’affinité, nécessaires dans l’enseignement (Ford 2020, p. 37).  

En outre, Meirieu (2013) note également qu’“Il y a, dans une véritable rencontre, une subversion de tous les enfermements et de toutes les catégorisations.” On peut donc se demander comment créer ces moments de rencontre, de subversion qui redéfinissent les typologies d’un système éducatif.  

L’association Narrative 4, créée notamment par des écrivains et artistes aux Etats-Unis, prône l’échange d’histoires pour mettre en place un dialogue et une compréhension mutuelle entre communautés, pour se retrouver soi au travers de l’histoire d’un autre. Il peut donc être également question des stratégies collaboratives ou participatives pour mettre à profit les initiatives associatives sur les enjeux de l’altérité dans la littérature jeunesse. 

 Axe4 : Littérature jeunesse et langues 

Au-delà de la question de la traduction des œuvres de littérature jeunesse, nous souhaitons ici nous pencher sur la manière dont la littérature de jeunesse envisage les questions de plurilinguisme, mais aussi celles liées aux langues régionales et minoritaires. On pourra se demander comment la langue, en tant qu’outil culturel, est utilisée dans la littérature jeunesse, avec l’exemple d’albums comme Little Treasures de Jacqueline Ogburn et Chris Raschka (2012) ou Le livre qui parlait toutes les langues d’Alain Serres et Fred Sochard (2013). Au travers de la langue et de la littérature jeunesse, des figures de l’étranger sont ébauchées qui peignent en miroir une représentation de soi. Dans Illegal de Colfer, Donkin et Rigano, l’arabe libyen, le yoruba et l’italien sont les langues de l’autre, qui est tour à tour celui dont il faut se méfier ou celui qui aide, menant les lecteurs et lectrices à se demander où ils et elles se situent eux-mêmes dans ce réseau d’altérités. L’autre est parfois aussi soi par la langue minoritaire, qui représente un patrimoine identitaire au cœur d’enjeux éducatifs. Ainsi, des maisons d’éditions comme Le port a jauni ou Onoko suggèrent un effort pour situer sa propre culture régionale/ minoritaire aux côtés des autres dans une carte du monde qui se redessine au prisme de soi. La musique vient parfois aussi servir de pont interculturel, pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Auger et Le Pichon-Vorstman (2021), entre diverses langues et aires géographiques comme dans les ouvrages des éditions Bannoù-heol (Kan arBed, Ur Veajwar gan tro-drod’arbed/ Un Voyage musical autour du monde, 2018). Ces ouvrages, ainsi que les ateliers d’écriture plurilingues, tels ceux mis en place par Isabelle Audras, Sidonie Brouwer, Anne Descamps, Elsa Valentin (La Page Educ’, s.d.), et le diamant langagier (Auger, 2025) sont autant d’exemples d’outils pour créer la rencontre en classe multilingue, qui se fait ainsi lieu d’hospitalité et de “babélité” (Paquot, 2019, p. 64).  

 Dans ce chapitre, les propositions pourront concerner les questions suivantes :  

Dans l’axe 3 :  

  • La littérature jeunesse permet-elle de (re)présenter ces moments d’intérité et donc de se faire l’outil de la rencontre ? Comment mettre en œuvre ces processus dans nos contextes éducatifs ? 

  • La littérature jeunesse, au travers des images autant que du texte, construit-elle similarités autant que différences, ressemblances et dissonances ?  

  • À quel point la littérature jeunesse peut-elle être subversive en créant liens et ponts ? 

  • Comment mettre à profit les initiatives associatives en lien avec la littérature et l’altérité dans le contexte éducatif ? 

Dans l’axe 4 :  

  • Comment la littérature jeunesse s'empare-t-elle de la question de la langue en tant qu'outil culturel ? Quelle reconnaissance des langues et cultures autres, et en particulier dites « minoritaires » porte-t-elle ? De quelles dynamiques interculturelles les usages de la langue en littérature jeunesse participent-ils ? Quelles représentations des langues / quelles représentations des cultures par les langues proposent les ouvrages de littérature jeunesse ? 

  • Comment le rapport à la langue de la littérature jeunesse dessine-t-il les contours de la figure de l'étranger et en quoi le travail sur la langue de la littérature jeunesse est-il aussi (et surtout ?) un travail sur l'altérité comme autre moi ? 

  • Comment l’environnement éducatif multilingue favorise-t-il la création de ponts interculturels ? 

  • Comment évaluer l’impact des outils de la rencontre dans le contexte éducatif ? Comment continuer à bâtir du lien à partir de ces expériences ? 

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Nous invitons donc les propositions sur les thématiques suivantes : 

  • Représentations de la rencontre et de l’autre dans la littérature jeunesse 

  • Littérature jeunesse et numérique 

  • Altérité dans la littérature jeunesse 

  • Littérature jeunesse comparée sur ces thématiques 

  • Interculturalité dans la littérature jeunesse 

  • Plurilinguisme et traduction dans la littérature jeunesse 

  • Didactique de la littérature jeunesse 

  • Didactique du numérique 

  • Pédagogie de la rencontre 

  • Rôle des bibliothécaires et médiateurs culturels dans la rencontre multiculturelle 

 

 

Informations pratiques : 

Le chapitre 1 de ces rencontres aura lieu sur le campus de l’ICT à Bordeaux le mercredi 4 mars 2026 : 2 allée Marianne Loir, Bordeaux, à côté de la Gare St Jean. 

Le lendemain, le chapitre 2 se tiendra sur le site historique de l’Institut Catholique de Toulouse, 31 rue de la Fonderie, dans le quartier des Carmes à Toulouse. 

Les horaires du colloque tiendront compte du temps de trajet de Bordeaux à Toulouse le mercredi 5 mars en fin de journée, pour que les participants qui souhaitent être présents aux deux chapitres de ces rencontres puissent le faire. 

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